À ceux qui ont eu la chance de voir filer une pensée plus lente que ses coéquipières, il a peut-être été donné d’observer qu’elle n’est pas faite d’un seul bloc.
Alors qu’elle laisse passer ses frénétiques concurrentes quand, elle, doit reprendre son souffle un tiers de seconde, on peut entr’ apercevoir la ligne de jonction entre les deux parties qui la font sembler monolithique à l’œil distrait.
Aux mots qui lui servent de support, s’ajoute un corps d’émotion.
Si je ne vois que les mots, je peux la dire à tous et me la rappeler à moi même, je peux la sculpter, la rendre plus jolie…je peux aussi la faire passer pour une autre, la maquiller au gré de mon talent pour le langage.
Je peux aussi, à force de la travailler, finir par me leurrer, et croire alors qu’aucune émotion ne l’habite.
Et l’émotion que je bâillonne finira par mordre la main qui la fait taire.
Mais la pensée vidée des mots reste vivante. Elle est alors sans vecteur.
Aussi, elle n’est plus sujette aux falsifications, aux dissimulations.
Elle a une chance d’exister, et comme un cadeau sans paquet, d’être offerte pure, pour ce qu’elle est. Et puisqu’elle existe enfin, elle aura donc l’opportunité de se faner, puis de disparaître. Sans mots, elle peut enfin se taire.
