Le Développement Père Noël

‘Développement personnel’ et ‘travail sur soi’ sont issus tous deux d’une terminologie qui relève d’un positionnement dans la case manque et d’une vision utilitariste, individualiste et appauvrie de la personne à développer ou du soi, sur lequel il faut travailler. Ces termes sont à la fois une injonction et un alibi.

Dégoupillons tous ces éléments l’un après l’autre.

Si je dois me développer personnellement, je dois tout d’abord aller d’un point A (le moi non-développé au point B, le moi en pleine possession de ses moyens).

Je visualise donc un état de ma personne où l’ensemble de mes défauts, freins, valeurs erronées, qui encombrent mon développement, ont été réduits au maximum.

J’envisage ce lieu comme un paradis psychologique depuis ma condition terrestre actuelle d’humain mal dégrossi.

En adhérant à ces discours, j’ai moi-même ouvert la brèche où s’engouffrent les gourous de tous poils, avec leur cartographie du moi, pré-quadrillée pour aller du point A au point B, et j’entretiens la conception fourbe de base selon laquelle le point A doit être quitté.

Cependant, n’étant pas encore au point B, je donne toutes latitudes et les pleins pouvoirs à ceux qui prétendent s’y être rendus ou y résider déjà. C’est toujours agréable de voir quelqu’un faire le ‘travail’ à sa place.

Ouvrant cette brèche, je m’engouffre comme un grand dans la spirale consumériste…en laissant être stimulé chez moi ce qu’on a besoin de me vendre et pour ce faire, cela doit être beau, neuf et accessible.

Soyons honnêtes, et plutôt que de parler de développement personnel, osons parler de ‘développement Père Noël’.

Le ‘travail sur soi’, sonne à mon oreille comme une résurgence des fordismes et autres toyotismes.

À peine dégluti, ce terme laisse un arrière-goût d’organisation scientifique du travail, des relans chaplinistes, une saveur américaine d’un ouvrage sur l’optimisation des process.

C’est une simple — et dévastatrice –transposition des logiques froides et sacralisées d’une économie fantasmée, à la sphère de l’être humain.

Le travail sur soi relève de l‘homo economicus, mais pas de l’être humain. C’est un totalitarisme sucré.

En tant que tel, la société martèle à nos oreilles cette injonction crasse à se développer, à travailler sur soi et les traditions ancestrales, réduites à une forme consommable, déclinable, marketable, et recyclable, deviennent des marteaux de velours, des enclumes qui brillent, des taureaux écornés…

Des outils de contention que l’on pilote tout seul, des anesthésiants que l’on s’injecte volontiers.

Ils remplissent enfin le merveilleux rôle d’alibi que remplissaient auparavant les croyances en un ‘après’, où tout serait plus doux, où tout le monde nous aime… Et l’on peut supporter à peu près toutes les aberrations, puisque après elles cesseront d’autant plus clairement que nous en payons le prix maintenant.

Au paradis des programmes de développement personnel, on tond son gazon au millimètre près, en ignorant sciemment que notre maison est bâtie sur une décharge.

Et puis, entretenir son gazon, ça prend du temps. On se retrouve entre voisins pour discuter tondeuses, désherbants et revêtement synthétique. Puis, fatigués par ces questions et les sempiternelles nouveautés à intégrer, on retourne dormir.

Franck

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