Et tout à coup le Zen n’est plus ni une pratique exotique rafraichissante dans nos paysages spirituellement sclérosés, ni, comme ceux-ci, de simples mots sur du papier dans un livre de plus.
Pareillement à ces livres lus dont on guette fébrilement la fin pour accéder au bonheur immense de se jeter à corps perdu dans un autre ouvrage, au sein desquels il est possible de se faire taper comme on tape une mouche folle en la figeant à jamais dans l’éternité de sa mort, il est possible de vivre sans cesse ailleurs.
Notre conscience doit se faire taper entre deux mains (quel bruit ça fait deux mains qui tapent ? et une seule ?), se faire saisir. Connaître le paradoxe d’être anéanti pour enfin vivre. Étrange.
L’homme dont il est question ici, par un jeu de mise en abîme fort peu subtil mais tellement tentant lorsqu’il s’agit de feindre l’humilité, sans vrai talent (feinte ici même)…avait tout.
Tout ce que l’humain moyen cherche à obtenir, notre ami en regorgeait au point d’être l’objet de jalousie de tout son entourage, bien que pour le plus grand salut de son ego il n’en fut pas conscient. Illustrons donc :
Une famille aimée et aimante. Sincèrement l’une, sincèrement l’autre. Pourtant sa mouche intérieure se fracassait à longueur de journée contre les fenêtres qui l’hébergeaient ne trouvant le repos que lorsque ce fracas devenait la seule issue, telle la mouche qui fatalement entend son buzz diminuer jusqu’à l’endormissement final. Cela rendait son économie psychique fort déficitaire, ce qui n’avait pour effet que de générer de la difficulté à gérer son quotidien familial (enfants/couches, femme/cris, sorties ?/non) : Même une dépense minime est lourde à supporter pour le ménage qui commence le mois à découvert. Alors le cercle se viciait : à nouveau il voulait s’échapper.
Cet ailleurs était aussi bien géographique (« ailleurs ce serait mieux « / « pour les autres, c’est plus simple »), que temporel (l’avant s’idéalise et l’après se désire).
Ce petit homme en jeans, tonique, n’en pouvait plus et, à bout de force, alors que ses ailes agonisaient lamentablement sur le rebord de fenêtre dans un buzz tragi-comique, grave et intermittent, il réalisa son erreur de stratégie, c’est-à-dire la raison de son obstination à miser « manque » quand seul le « passe » passe.
Ses ressources hors normes le poussaient à se démener pour provoquer le changement qu’il voyait comme sa seule issue. Seulement, une fois manifesté à force de gesticulations puériles, une fois la route entre-aperçue ou même tracée, notre héros n’emboitait pas le pas. C’est donc soit l’immobilisme qui seul intéresse notre protagoniste, soit que les routes déblayées ne sont pas si indemnes de ronces qu’à leur état purement spéculatif, et donc que la voie ouverte est inférieurement qualitative à celle qu’il parcourt déjà.
Ha ! Notre ami cherchait donc simplement une fuite à l’instant. Ce qui n’est qu’une illusion, tout narrateur omniscient le sait bien. On ne fuit pas vraiment l’instant, on l’habite par la fuite. On le gâche. Aussi objectivement agréable cela soit-il, par ailleurs.
Il voulait se maintenir coûte que coûte dans le luxe de l’insatisfaction, mère sereine de l’inaction et grande justificatrice des douleurs complaisantes. Trouver que les choses vont mal pour justifier son état interne de pseudo volonté de changement, lui-même uniquement dû à son incapacité à connaître vraiment les choses.
Il y a quelque chose qui ressemble à une quête d’adéquation entre deux éléments. Si l’on y prête un œil furtif, ils semblent identiques et n’ont aucune raison de faire l’objet d’une différenciation. Il s’agit de l’énergie de vie d’une part, et du rythme de vie objectif d’autre part. Il semble que les modalités de superpositions soient évolutives et donnent ainsi lieu à deux concepts séparés. Idéalement il ne devrait y en avoir qu’un.
Le Zen nous replace dans l’idéal. Celui qui est porté par le rythme de vie n’y peut rien, et n’en est souvent même pas conscient. Trois phases se succèdent :
Premièrement, lorsque l’enfant paraît, débute la première étape qui culminera quelque part à l’adolescence. L’énergie de vie est littéralement débordante et outrepasse le rythme de vie. Enfance espiègle ou turbulente et impression de trop plein de vie.
Ensuite pendant un certain moment, et très progressivement, cette énergie de vie va se canaliser jusqu’à se superposer au rythme objectif de cette vie. On parle alors de « force de l’âge » de « pleine possession de ses moyens », « d’homme mûr ». Enfin au temps d’une énergie de vie inférieure au rythme de celle-ci correspond la phase décadente de la vieillesse. L’énergie s’éteint alors avant de partir. La matière du cocon retourne à la terre.
Celui qui avance doit ajuster calmement sa vue pour ne pas se laisser leurrer par les paillettes de la première phase ou le spectre de la troisième phase. Il doit garder à l’esprit que ce ne sont là que projections sans réalité. Car, de la manière qu’il aura vraiment d’habiter ces instants de vieillesse il n’en a et ne peut en avoir aucune idée, ne serait-ce que du fait de la définition de ses sentiments par l’énergie de vie. D’ici là, celle-ci n’aura plus la même intensité, les mêmes déploiements, les mêmes formes d’expression ni les mêmes couleurs.
Cet homme comprit alors que la seule vie que l’on a vraiment, c’est la vie que l’on a maintenant. Habitons-la pleinement.
Niyam Draw
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