Concombre et Romantisme

Sous une douche humide, il fut saisit du constat qui s’imposa à lui : ne serait-il pas, plutôt que le poète, le philosophe, le noble penseur, le chercheur de sens qu’il se pensait jusqu’alors….un triste romantique, un fruit étiré de l’adolescence, un concombre à boutons ?

Ce qui lui passe par la tête ici et là, mais surtout dans les douches d’eau, n’a finalement que bien peu de teneur. Ses pensées sont translucides : elles perdent en un instant toutes leur densité, puisque le support qui les justifiait est lui-même totalement ludique et fantasmé.

Les yeux dans le tourbillon, il regarde ses non-pensées et leur non-supports ne pas se joindre au siphon et s’en étonne presque.

Romantique, il ne peut à cet instant même plus affirmer si ce qu’il ressent est authentiquement provoqué par des phénomènes réels, extérieurs ou intérieurs—les premiers étant bien sûr plus facilement objectifs—ou si son ressenti et les pensées qui se ruent en petites infirmières dévouées et hystériques ne sont pas tous issus de son imagination.

Il joue à ressentir plus qu’il ne ressent. Il gribouille avec lui-même, tripote sa purée du bout de sa cuiller.

Il s’occupe : tromper l’ennui est alors équivalent être infidèle à soi même.

Soi même est ennuyeux, l’encéphalogramme de la vie psychique est plat. A grand coup de défibrillateur, il tente encore et encore de se ranimer. Comme le courant électrique simule la vie et trompe le corps physique, le romantisme simule le cœur et trompe le corps émotionnel.

Dans sa serviette, enroulé mais pas séché, il goutte. Il voit d’ailleurs très distinctement les gouttelettes qui se forment sur la pointe de ses cheveux puis tombent et meurent fracassées contre le carrelage dans un silence contemporain. Chaque goutte est un mot qui s’écrit pour rien. Même si les cahiers qu’il remplit sont bien de papier et d’agrafes, les mots qu’il gravait nerveusement dans la chair de la pâte n’ont subitement plus de poids : ils reposent sur des pensées moribondes, accrochées à des émotions simulées.

Un « travail de romantique », c’est presque insultant…

Si ce n’était pas si triste. Le romantique est un pauvre qui s’ignore. S’il se connaissait, il cesserait de facto tout fricotage avec le romantisme.

C’est ce qui tira Martin de sa torpeur. Il venait bien malgré lui et presque sans effort, ce qui est vraiment injuste, de chevaucher une de ses magnifiques gouttes d’eau et de s’exploser contre le sol de faïence, brisant de ce fait son emballage de cristal fin pour laisser apparaître sa croûte minérale, pierre banale, terne mais encore chaude.

NiDr

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