SHIFUMI 2.0 : La Feuille ne bouche plus le Puits

Alors que je suis assis en méditation se produit une situation qui s’est déjà produite mille fois: je suis interrompu.
C’est le lot, j’imagine, des pratiquants de l’ordinaire, des méditants du quotidien.

Une mini retraite dans un monde de brut. Le monde de brut, de par sa nature même est condamné à faire irruption dans la mini retraite.
C’est donc à l’acte du méditant d’être assez large pour contenir le monde, et assez apaisé pour accueillir sa brutalité.

En l’occurrence, cette sauvagerie prit la forme suivante:
Mon fils de 4 ans fait irruption dans la pièce et, bruyamment, imite le bruit de l’avion en courant partout, saute sur le lit, redescend, le tout en répétant une phrase incompréhensible, fruit de son scénario personnel.
Le ressenti classique est celui de l »indien dans la ville’ lors de sa première sortie, ou ‘les visiteurs’ le long de l’autoroute, lorsqu’ils débarquent du passé.

En temps normal, à toutes choses égales, il m’énerve, me fait fulminer intérieurement, provoque un chaos émotionnel, puis repart comme il est venu, et –à moins qu’il ne me fasse me lever pour le conduire manu militari hors de ma zone–dans une totale inconscience du chamboulement qu’il a généré laissant la porte ouverte aux quatre vents du monde.

Sauf que cette fois ci, il ne part pas. Il continue à m’imposer son univers fantasmagorique d’enfant alors que j’essaie de faire le ménage dans mon univers cinématographique d’adulte.
L’élément surprenant est l’absence totale de réaction que je constate en moi. Pas un grain d’énervement, pas une seul spasme incontrôlé qui me pousserait à mettre fin à l’assise pour lui hurler dessus afin qu’il me laisse tranquille. De même, aucune remontée émotionnelle acide, de celles qui tel un geyser chaud remontent le long de l’œsophage et éruptent au sommet du crâne.
C’est précisément cette non-réaction qui me surprend. La surprise, elle aussi, passe.

Reste alors le constat que l’élément insupportable que je vis comme un invasion n’est pas une invasion en soi. il est vécu comme tel du fait du manque d’espace pour le laisser évoluer puis s’atténuer, et disparaître.

La bonne nouvelle c’est que cet espace est potentiellement infini.

Cet espace d’accueil est un espace de paix.
Il peut être appelé amour, compréhension, compassion, tolérance…mais ces termes restent largement en dessous de l’expérience de l’espace. Ils impliquent tous une personne qui ressent un sentiment noble et s’en félicite, et un sujet qui est l’occasion de ce ressenti et de ces congratulations.

Entre mon fils et moi, en cet instant d’éternité, pas de différence. Pas l’espace d’une feuille de papier. L’espace cosmique, pourtant.
Pas de personne pour constater l’absence de différence non plus et s’en féliciter.

Ce récit est infidèle, amoindri, terne et restrictif.
Ecrire, faire semblant de se taire et puis se taire vraiment, un jour.

Franck

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