Peut-on penser à une seule occurrence où vivre et mourir seraient séparés ? La mort n’existe pas en dehors de la vie…ni la vie en dehors de la mort.
Banalités, idéologie pour mâles vieillissants (mal-vieillissants) ? Voyons plutôt.
Paroles universelles et éternelles de Louise Labé, poétesse de l’âge moyen, étudiées au lycée et citées de mémoire–oui oui, je me refuse à la google-isation, préférant, et assumant, la saveur réaliste de l’approximation au culte totalitaire de la base de données digitale à consulter compulsivement pour donner impression de maîtrise. De maîtrise, il n’y a guère, et l’impression s’émousse avec la faible qualité de fiabilité des données en question et la banalisation de ce comportement qui consiste à voir internet comme une grosse extension de mémoire toujours à disposition. Bref. Un peu tôt pour une digression mais c’est ma faiblesse… Et on ne vit qu’une fois. (?)?
Si je compulse ma base de données personnelle, sans aucune souscription au dogme de l’infaillibilité pan-digitale, je trouve les vers suivants :
Je vis, je meurs,
Je me brûle et me noie…
Ce qu’elle semble opposer par un parallélisme avec l’intrinsèque incompatibilité entre brûlure et noyade, n’est qu’une illusion.
Si je me noie, je ne peux pas me brûler, mais, alors que je vis, je meurs. Pas de différence. Si je vis, simultanément je me meurs.
Louise, qui ne peut pas m’en vouloir d’une telle familiarité, démontre par une plume poétique, qu’un sentiment extrême ouvre souvent sur l’expérience d’un sentiment contraire… et vivre fiévreusement sur la pente ascendante équivaut souvent à écourter d’autant la pente descendante- Jimi, Janis, Jeff, Amy et les autres.
Il est plus exact de parler de ‘se mourir’ plutôt que de ‘mourir’. La mort est le point de fuite à la perspective du déperissement. C’est une fiction, de la même manière que lorsque le soleil se couche, il ne cesse pas d’exister. On appelle ‘coucher de soleil’ le moment où il devient invisible.
Parallèlement, la mort est le point subjectif, relatif, où la vie n’est plus visible. Elle n’a pas d’existence. C’est un élément de langage.
À la disparition subjective de l’astre solaire correspond un élan de bonheur chez ceux pour qui la journée s’annonce. Ce qui se perd d’un côté se compense de l’autre.
Et puisque rien ne disparaît, il semble être dans l’ordre des choses que les éléments constitutifs se transforment.
Ainsi peut-on envisager qu’à la vigueur, à la vaillance, à l’impétuosité débordante de la jeunesse, de la vie en croissance, fassent écho d’autres aspects, lors de l’amorce du processus de décroissance…
Calme, sérénité, gestion émotionnelle, dé-centrage de soi, fragilité, sagesse ( hauteur de vue). Tant d’éléments qui ne peuvent apparaître tant que l’individu est en proie aux forces de croissance non transmutées.
La vie sans le processus de déperissement n’est plus la vie mais une fiction d’ignorant qui projette un besoin de continuité purement conceptuel, n’ayant aucune correspondance dans la réalité.
Même le plus pur et le plus solide des diamants est voué à disparaître, car formé d’éléments périssables.
Peut-on maintenant penser à une seule occurrence où un élément serait impérissable ?
Comme la parole émise inévitablement s’évente et disparaît dans les nuées, l’élément pur n’existe pas. Il est lui-même composé d’éléments, composés d’éléments….qui tous périssent joyeusement.
Comment, dans la vraie vie, faire l’expérience de ces éléments mourants ?
Nous sommes nous-mêmes en décomposition. Et c’est par cette réalité que nous pouvons expérimenter le monde, partager la vie.
Si l’un ou l’autre, du monde ou de nous n’était pas sujet à cette décomposition, aucune expérience ne pourrait se produire.
Dans un monde où les éléments ne seraient pas périssables, où chaque entité serait un bloc imputrescible, il ne pourrait y avoir d’échanges.
Pour échanger, il faut céder une partie de soi-même. Même si celle-ci est aussi immatérielle qu’une pensée, un avis ou encore une parole, en s’echappant de nous, elle amputerait notre intégrité.
Notre quotidien et nombre de nos malheurs reposent sur la croyance en cette intégrité-diamant.
Par ailleurs, la tendance inflationniste de notre identité, de tout ce que nous sommes et avons, en dépit, d’être ce qui peut nous arriver de pire, est aussi la ferme confirmation de l’inexistence d’une telle intégrité en amont.
Franck
