Une faune hostile peuple la jungle de nos pensées et hante les volcans de nos émotions…le temps de notre absence.
L’anarchie du monde intérieur est celle d’une cour d’enfants quand la récréation se prolonge et que les maîtresses discutent au chaud autour d’un café. Sans leur surveillance bienveillante, prompte à saisir au saut l’impulsion d’un comportement risqué, les jeunes esprits s’échauffent, et la catastrophe, statistiquement, ne peut qu’arriver.
Bien évidemment, aucune des espèces qui habitent la jungle de l’esprit ne peut être domestiquée. La nature des êtres de notre forêt intérieure n’est pas d’être tenus au bout d’une longe.
Il en est, pourtant, qui tentent de dicter leurs consignes et de soumettre les natures indomptables. Ceux-ci sont entourés et écoutés car leur parole est mielleuse. Ils semblent y parvenir, le temps d’un claquement de main. Les émotions féroces peuvent se laisser enrouler par une technique familière et sembler adoucies. A peine le temps d’y croire.
Il se pose la question de savoir s’il y a un réel intérêt pour la foule amassée, en dehors de la prestation, du divertissement qu’elle offre, de la diversion qu’elle permet. Temps perdu à regarder la carte de l’île et à écouter les élucubrations d’un guide autoproclamé.
C’est immobile que l’on parcourt le mieux le territoire. Alors asseyons-nous et marchons.
Celui qui parle et attire les foules ne mérite pas d’être écouté s’il a quelque chose à nous vendre. Ou quelque sentiment à récolter. Flatteries et raccourcis contre reconnaissance sociale.
Regardez plutôt là-bas, derrière les immeubles. Cette femme est presque encore jeune.
Il est normal que vous ne souhaitiez pas approchez plus près. Elle est bruyante et excessive dès qu’elle entend vos pas. Pourtant, si vous aviez pu être présents quelques heures plus tôt, avant que le soleil ne se lève, vous auriez pu la voir douce, perdue, attendrissante et infiniment triste.
Son monde intérieur est sauvage, touffu, dense et brouillon. Telle une pelote de laine déroulée par le souffle de la tempête, elle perd le fil de sa vie. Trempée, à nu, elle est le jouet d’émotions houleuses, qui la saisissent et l’épuisent.
Ces continents de forêts primitives qui l’alimentent sont hostiles. Les éléments fougueux y fouettent en permanence des terres âcres. Les lieux de repli disparaissent à mesure qu’elle fait résonner ses pas nerveux et incertains.
Elle ne parvient pas à se familiariser suffisamment avec cet univers en creux, pour identifier les espèces qui y évoluent le long des plages, et ne pas être surpris plus que de raison par les cris jaillissant des animaux ailés alors qu’ils s’envolent du haut des arbres.
Elle ne sait pas encore que leurs ailes amples n’ont pas vocation à nous meurtrir le visage. Aussi, quand ils partent de leur lieu de repos, elle ne les reconnait pas, inconsciente qu’ils partent pour une destination éloignée.
Elle se sent terriblement abandonnée. Son désarroi criant a fini par se voir et les derniers maillons qui l’amarraient encore au port du quotidien ont cédés. Elle est désormais seule au large d’elle même, à hurler à l’aide aux terrasses du bord de mer, où les proches d’antan prennent le café aussi.
La solitude rend seul. Emportés par ses pleurs sur l’archipel sauvage, elle doit apprendre.
Ce territoire à vif est la chambre noire où s’esquissent les expériences de nos vies.
Dans son terrain intérieur, chaque bruissement provoque un tressaillement de peur, un ébranlement de cœur. Bien que ce soient toujours les mêmes êtres qui le peuplent, elle ne parvient pas à se familiariser avec leur apparence ou leur trajectoire.
Intrigués par les réactions excessives de leur hôte, ils s’approchent alors.
Ils grognent, griffent et bousculent, la laissant meurtrie et en proie à la nuit. Forts de ce pouvoir de nuisance, ils reviendront le lendemain, usant des mêmes stratagèmes que ceux qui ont fait leur succès du jour.
Les feuillages sont si épais, qu’elle ne peut voir arriver quiconque, quand bien même il s’agirait d’un esprit ami.
Il faudrait la serrer dans nos bras et l’accompagner lorsqu’elle ferme les yeux.
Il faudrait rester à ses cotés assez longtemps pour qu’elle constate que, quand le vent se lève et s’emballe jusqu’à soulever la poussière des sols, jusqu’à la projeter dans ses yeux rougies d’anxiété, il est juste le vent, et fait ce que le vent fait. Il s’apaise et finit toujours par se taire.
Ensemble, nous apprécierions alors l’élément eau, par la mer qui couvre de son manteau sombre et opaque les mille ténèbres impénétrables. Les peurs ancestrales qui empêchent tout projet de navigation, tant les abîmes secrets se creusent sans prévenir.
Il faudrait qu’elle embrasse d’une étreinte sereine l’ensemble de ces manifestations. Dans l’ouverture de ses bras, il n’y aurait alors rien qui ne pourrait être accueilli. Entendus, acceptés, observés, les géants ailés, les féroces carnassiers deviendraient alors les invités d’une nature apaisée. D’autres âmes angoissées finiraient aussi par se promener le long des sentiers aplanis et des rivages sereins.
Pour embarquer avec elle, il faut avoir navigué ses propres océans et dansé la nuit sur les flots intrigants. Pour marcher à ses cotés, sous la tempête le long des flancs abruptes, il faut avoir observé ses chemins enflammés puis taquiné du pied les cendres froids.
Franck – https://www.ecouterlesilence.com/blog

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