Il restait encore deux bonnes heures de marche. Le gîte était en haut de la colline et la fatigue commençait à se faire sentir. Plusieurs membres du groupe voyaient fondre le sourire qui les avait habités toute la matinée.
La marche méditative permet ces communications sans mots. La nécessite d’une pause mûrit alors au sein de ce groupe comme s’il eut s’agit d’un seul organisme.
La quinzaine de participants s’arrêta alors le long du sentier, précisément à l’endroit où de larges pierres émoussés par le temps s’offraient à leurs membres pour un repos réparateur.
Parmi eux, un jeune homme de dix-sept ans. Il avait décidé qu’il participerait à cette marche après que ses yeux aient croisé le mot « pleine conscience », sur l’affiche du centre associatif de son village.
Il ne savait pas vraiment de quoi il retournait, mais souhaitait néanmoins faire cette expérience. Et puis, tout le monde parle de pleine conscience avec tant d’exaltation, comme un remède miracle à tous les maux de notre siècle.
Il voulait aussi sa part de « conscience ».
A ce stade, après trois jours de marche, quelques repas frugaux et un sommeil spartiate, autre chose l’interpellait.
L’attirance de surface qu’il éprouvait pour ce phénomène de mode allait stimuler tout le fond d’éducation qui avait été le sien.
Il pensait que ce substrat catholique dans lequel il avait baigné, alors qu’il était éduqué par ses grands parents était réduit au silence… comme des graines semées à même le bitume.
Pourtant certains termes étaient ancrés en lui et cherchaient à trouver une forme de cohérence au sein de cette pleine conscience. Le paradis, la rédemption, la charité, la foi…ces mots flottaient dans l’air sans trouver de prise dans ce qui l’entourait aujourd’hui.
Autour de lui, s’étaient naturellement assis ses deux partenaires de marche silencieuse.
Il s’agissait de Franck et Sébastien.
Ils étaient occupés à rassembler les feuilles mortes dans les quelques mètres carrés où ils se trouvaient.
Ils se mirent ensuite à les disposer au sol pour créer un fond coloré, d’où émerge un dégradé d’orange, de vert et de brun qui chatoyait au soleil couchant.
C’est Sébastien qui rompit le silence:
-C’est incroyable ce qu’on a comme myriades de couleurs là, juste sous nos yeux, c’est vraiment magnifique. Tu as vu ça, Franck, comme ces teintes font échos aux montagnes lointaines et comme l’orange résonne jusqu’au soleil lointain?
-Oui, comme il est futile de penser ajouter à la perfection…
Alors, le jeune homme prit la parole, sans l’avoir décidé vraiment. il fut lui même surpris lorsqu’il s’entendit demander:
-Et vous, est-ce que vous avez la foi?
Sébastien et Franck échangèrent un regard. Si l’on avait pu lire dans l’espace qui les sépare, on aurait perçu l’un prêt à parler de « foi », et l’autre, surpris du verbe « avoir ».
Sébastien commença à tisser son propos…
» Qu’il est difficile de répondre à cette question sachant que je suis conscient qu’il n’y a pas, dans cette dimension, UNE vérité unique, mais bien autant de vérités que d’âmes incarnées…
J’aime dire que nous sommes comme un miroir composé de 7 milliards de fragments… chacun détenant une partie du tout; chaque vérité s’assemblant délicieusement avec une autre pour ne faire qu’une et ainsi nous faire prendre conscience de l’importance de la vérité de l’autre.
Croire en cette reliance prochaine, en l’Unité… y croire profondément et avec le cœur, en oubliant les barrières du mental, ceci est ma définition de la foi.
Ma vérité sur la foi est qu’elle est la résultante de notre reconnexion avec notre corps émotionnel.
-Si je «crois» en quelque chose, c’est ma tête qui parle, il y a une part d’analyse et de rationalité, je suis dans mon corps mental.
-Si j’ai foi en quelque chose, c’est mon cœur qui parle, il n’y a ni analyse ni rationalité, je ne sais expliquer pourquoi j’ai foi mais je le ressens au plus profond de moi, dans mes cellules.
Lors de nos phases d’apprentissage, on apprend, puis on comprend ce qu’on a appris, ensuite, on intègre ce que l’on a compris… avant d’incarner ce qu’on a intégré.
Jésus disait : d’abord j’apprends, puis je comprends, ensuite je ressens, avant d’aimer.
Ma vision d’ «avoir la foi» est donc d’être passé au delà de la compréhension… j’ai intégré, je suis passé de la tête au cœur, de la rationalité à ce ressenti merveilleusement indéfinissable venant du plus profond de mon Être.
Avoir la foi pourrait donc être la croyance du cœur.
La quatrième étape, celle de l’incarnation, ou de l’amour selon Jésus, serait de mettre en mouvement ce qui a été intégré, ressenti.
Être dans l’action, pour offrir au monde l’intelligence du cœur. »
Le silence qui suivit ces dernières paroles permit aux trois amis d’échanger en conscience, d’intégrer doucement.
Quelques respirations plus loin, la voix de Franck reprit le fil au vol et poursuivit ainsi:
Avoir la foi »…qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
Et toi, as-tu la foi ? … ici, on est carrément dans l’intrusion grossière. C’est du vandalisme spirituel. L’effraction chez l’autre est motivée par l’angoisse chez soi.
….A moins que cette maladresse ne soit la résonance maladroite de l’appel en Soi.
La foi n’est pas une certitude monolithique et stable sur laquelle on peut se fonder, se construire un semblant de permanence psychologique.
Cette foi-là, celle dont tous ils se réclament à qui mieux-mieux, celle qui les pousse à l’invective, à la protection des territoires, à la conquête du potager voisin, ne mérite pas qu’on s’y embourbe.
Elle ne vaut même pas la peine que l’on s’y plonge un quart de seconde ou que l’on y consacre trois lignes sur un blog (oups…).
Car les destinataires de cette salve sont, par la nature même de leur positionnement anxieux, inaptes à percevoir leur erreur.
J’aimerais dire aux amateurs de nomenclatures, de tableaux périodiques, d’encyclopédies et d’encycliques pompeuses : ‘Vous n’avez pas la foi.’
Désolé. Ce que vous avez n’est pas la foi.
Vous participez à la partie de jeu de paume ancestrale, où chacun se renvoie son petit concept, et brosse celui de l’autre, dans le sens du -ou à rebrousse-poil, peu importe.
Ce jeu de paume vous dupe.
Ce jeu de dupe vous perd.
Ce jeu de paires vous paume.
Pour « avoir la foi », il faudrait qu’elle soit fixe, ancrée dans les cerveaux, burinée dans la pierre. La foi est expérience, mobile, toujours neuve elle surgit et magnifie le monde en perçant au laser notre cataracte de tristesse.
Mais la foi est une étoile, elle est toute les étoiles, les astres et les comètes. Elle est aussi le vide entre les corps célestes. Elle est l’espace entre mes mots.
Impossible, en effet, de posséder une étoile. Inaccessible et en mouvement, comment tiendrait-elle dans nos filets ?
Il y a bien, pourtant, des hommes en blouse pour lui donner leur nom.
Mais l’étoile reste l’étoile. A tout le monde et à personne. Car on ne peut l’approcher en termes de possession. A peine essaie-t-on qu’elle devient un objet de pensée et cesse d’être l’étoile. Comme on ne peut être et avoir à la fois, on ne peut vraiment être et « avoir la foi ».
La foi ne se trouve pas dans les mots de l’autre, ni dans les mots des livres, quand bien même ils seraient appelés ‘saints’.
Les mots des livres…
Les mots délivrent pourtant quand on se délivre des mots.
Assieds-toi et regarde les mots. Sans fin, ils dansent.
Dans un bal populaire, tout le monde participe et les cavalières valsent d’un homme à l’autre, puis reviennent et tournoient.
Les mots s’associent librement, en un jeu interminable.
Si tu te mêles à leur danse, tu tourneras sans fin parmi eux, jusqu’à la nausée.
Assieds-toi et regarde les tourner, tu finiras par être lassé.
Tu peux maintenant te lever et les laisser jouer.
Va voir dehors, sors de la pièce.
Inutile de te demander comment tu as fait pour rester à l’intérieur tout ce temps…
Doucement, sans fracas,
Va marcher et regarde les étoiles.
Le bruit de la fête est lointain et tu goûtes le calme
Qui grandit à mesure que tu t’éloignes.
Adosse-toi au vieil arbre qui recueille la nuit.
Là, sans lever la tête, tu peux voir les étoiles.
Elles brillent en toi comme elles brillent dans le Cosmos.
Depuis toujours, elles t’appellent,
Et ce soir, loin des mots, tu leur réponds. »
Déjà la fraîcheur du soir commence à se lever. Ils marchaient maintenant vers l’hébergement du soir. A trois, ensemble, conscients que quelque chose en eux se joue, ils ne cherchaient plus à le tapisser de mots.
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Ce texte est un travail collaboratif avec (et à l’initiative de) Sébastien
