Depuis 23h, quelques serveurs fiables s’y étaient affairés.
Au milieu de la nuit, les deux silhouettes s’étaient engouffrées à la faveur d’un escalier anodin. Au dehors, la berline laissait tourner son moteur.
La voix grave et le ton calme qu’il révéla à cette occasion conféra une toute autre profondeur à la douceur de ces traits.
La cause prétendue de la colère, à peine l’aurez-vous traitée, sera toujours remplacée par un support alternatif.
Tout comme votre anxiété, tout comme votre désir.
Ceci est aussi la cause de cela.
Aussi il n’y a pas de réponse cartésienne. Pensez-vous vraiment qu’il serait de bon ton de rajouter encore une couche de vernis anesthésiant sur la lave en fusion ?
Toute tentative allant dans cette direction tomberait morte au milieu de leur arène.
Dans le cirque que vous leur avez construit, si parfaitement qu’ils y sont aujourd’hui enfermés, les voici sur les gradins, ils se tiennent tous debout, les pouces unanimement pointés vers le bas.
Au milieu, vous agitez maintenant vos propositions pour continuer à les divertir.
Cessez les divertissements, cessez les diversions.
Cela doit venir de vous. Les gens dans la rue n’ont que faire que vous leur prouviez le bien-fondé de votre comportement ou des décisions que vous avez prises pour eux.
Il est bien trop tard. Nous n’en sommes plus là. Il est fondamental que vous vous en aperceviez.
Un simple écarquillement des yeux de son interlocuteur en t-shirt délavé suffit, en dépit de la tension extrême qu’il subissait depuis une semaine, à ramener son verbe à la hauteur du caractère exceptionnel de cet entretien et de la brièveté de cette rencontre avec le maître ainsi convoqué.
…Je veux dire qu’ils se tiennent prêt à poursuivre la mise à sac de tout le territoire.
Il faut absolument que je trouve les propositions pour apaiser leur rage.
Sont-ils en mesure d’entendre cela ?
Je pense qu’il existe des seuils dans l’emballement, qui, une fois franchis, rendent infiniment difficile le désamorçage des mécaniques.
Je crains que l’on ait franchi un tel seuil. La seule alternative est un pivotement des consciences.
Il n’est pas de votre ressort de proposer une issue. Malheureusement, les ébats en cours sont sortis de votre sphère d’influence.
Celle-ci, d’ailleurs, a-t-elle un jour été ? N’est-elle pas une projection de votre esprit ?
La situation se traite à un autre niveau. Que faire ? Que proposer ? Vous voilà en panique.
Cette machine s’est emballé et nul ne peut en reprendre le contrôle. On ne peut que s’en extraire.
J’ai bien peur qu’il ne s’agisse pas d’éléments inscrits à votre programme, et pourtant…
Auriez-vous un jour pensé que nous nous retrouverions aujourd’hui, plus de vingt années après votre passage dans les montagnes, moi en sandales, et vous en élégantes talonnettes ?
Il se leva, prit la grande couverture qui était posée sur la banquette de cuir noir et s’en drapa l’épaule.
Sans délaisser l’énigmatique sourire que ses lèvres esquissaient à peine, il parla ainsi à l’homme en costume :
Souvenez-vous,