Emographie

Contexte: Renouvellement de la carte d’identité:

C’est au cœur de la démarche décennale de renouvellement de la reconnaissance de mon existence légale que je fus sujet à une épiphanie de premier ordre. Cette scène, d’un ennui morbide, entre un agent filaire de l’État et moi-même, humble serf, je la subis plus que les autres encore, au point d’avoir retardé la sus-citée démarche à l’extrême.

Une fois celle-ci passée, c’est lors d’une de mes excursions sportives désormais quotidiennes (trentaine passée oblige), elle aussi source d’ennui intarissable (qui, à la différence que cet ennui-là peut être trompé facilement par les écouteurs de caoutchouc, voire par ma propre pensée) que tout commença. Je réalisai que ce renouvellement de carte d’identité était une merveilleuse allégorie de la question qui me taraudait depuis plusieurs semaines, à savoir :

Qu’est-ce donc que le statut d’artiste ?
Quand est-ce que je deviens officiellement un artiste ?

Ces questions trouve son origine dans mes longues frustrations de musicien.Mon marché intérieur fut assaini et ses lois rétablies et ma frustration ne résista pas à la lumière du tampon d’encre.

 J’en arrivais même à décrire mon statut comme suit : « artiste non signé », « écrivain non publié ». Pour sortir de cette impasse identitaire j’aurais même pu pousser l’arrogance jusqu’à me dire « Artiste Indépendant ». Cependant, je sentais que gonfler le vice à ce point aurait eu le goût amer qu’ont en bouche, lors de diners, les femmes de ménages qui s’annoncent « techniciennes de surface ». Du gros pathos dans le mélioratif. De la méthode Coué, tendance désespéré.

J’explique : la phase ultime pour valider le droit d’être quelqu’un aux yeux de notre mère à tous, gagner le droit de se frayer fébrilement un chemin au téton nourricier et éviter l’écrasement fatal lors d’une  anodine bureaucratique roulade, c’est l’application de son doigt dans l’encrier puis l’enfoncement de ce doigt sali dans une soviétique case. Tristesse froide.

 Changeons de perspective et réjouissons-nous !

 Tout est histoire d’activité émographique. De la même manière que le doigt s’enfonce dans l’encrier et imprègne celui-ci de son essence propre, l’artiste se laisse graver par son environnement d’une façon aussi personnelle que ne l’est l’empreinte digitale.

Personnelle et universelle. D’une empreinte à l’autre aucune différence criante et pourtant assez de critères personnels pour trouver au moins 7 milliards de différences.

C’est là tout le mécanisme du phénomène artistique : l’artiste applique son doigt sur la toile, l’instrument, la page, l’appareil photo d’une manière complètement unique et non reproductible mais à la fois assez proche d’autres artistes (c’est-à-dire en fait d’autres individus, car tous sont artistes, qu’ils le sachent ou non) pour être re-connu.

Cette reconnaissance s’opère à plusieurs niveaux.
Au niveau social, l’artiste jouit de sa propre image dans les yeux et la voix de son public, il se reconnait.
Au niveau collectif aussi, l’artiste n’en ayant cette fois-ci pas directement conscience. Il est alors reconnu par d’autres. Cela se manifeste lorsque qu’un amateur (au sens de celui qui aime, non du néophyte, car pour qu’il y ait émographie il faut une compatibilité de fréquences de sensibilité— et en ce sens y-a-t-il vraiment une réalité de l’amateurisme ?) fait naître l’artiste à nouveau, en lui-même cette fois, participant à titre personnel à cette renaissance (suffisamment fortement pour en faire une reconnaissance).

Ainsi les résonances émographiques sont infinies. Elles rebondissent de réceptacle en réceptacle. Elles sont d’autant plus infinies qu’elles se voient à chaque fois modifiées un peu plus par chacun de ces échos, qui fera alors surgir des harmoniques jusqu’ici dissimulées ou qui au contraire amputera et simplifiera, consciemment ou non, la fréquence complexe reçue.

Je vous propose une expérience émographique: nouons tels deux brins d’acide nos fréquences sensibles, tournoyons avec une jouissance, une infinité hélicoïdale. Il ne tient qu’à vous de vous disposer à l’impression : laissez mes doigts s’appuyer sur l’encrier de votre âme et s’appliquer alors sur le monde alentour, et se mélanger aux impressions des autres, les transcender, les vivifier, les mettre en relief si possible sans 3 minutes 30, sans format TV, sans case, sans cadre, sans carte…… Je suis votre identité. Vous êtes la mienne.

NiDr..

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