La terre ne dort pas en hiver, elle pense.
Par les réseaux neuronaux de ses arbres nus,
Les branches en éventail.
Elle pense sous nos yeux embués par les froides saisons.
Le reste de l’année,
Elle pense en silence,
Sans rien nous laisser voir.
En mère tolérante.
Qu’en a-t-elle donc à faire
De nous et nos idées ?
Que nous l’ignorions
Ou pas,
Elle pense de même. Immuable force tranquille, à la colère bouillonnante, onctueuse amertume du magma en fusion.
Par nos réseaux sans fils, nous singeons les appels invisibles qu’un arbre lance à ses frères, puis la réponse de ceux-ci, seuls en terre, solitaires, solidaires.
Par nos antennes modernes, nous imitons tristement la réception des données sacrées que les cieux envoient gratuitement aux cellules de nos pères des bois.
Et si, comme la nature, nous nous parlions à nous-mêmes, transmettant une chimie subtile d’équilibre collectif. Si les masses énormes d’informations échangées concourraient à notre propre bien être ? A notre survie ?
Oui mais si alors une obscure volonté dévoyait ce bien-être, lui laissant son nom mais le vidant de sons sens ? Vers quoi alors nous orienterons-nous tous ? Et quelles conséquences sur l’équilibre de notre Nous ? Sur celui de la nature dont nous ne sommes pas séparés ?
C’est ici trop facile de céder aux travers du méchant extérieur. Ce ne serait qu’une triste parodie des théories auto-parodiques du complot, une dérive paranoïaque de l’inadapté social.
D’une manière plus subtile et profonde, le Grand Calculateur est en nous et nous l’extériorisons, nous en faisons un autre, inaccessible, hors d’atteinte pour nous dédouaner individuellement. Celui-ci, pourtant n’existe pas per se. Il est en chacun de nous. Comment penserions-nous le reconnaître s’il en était autrement ?
Pendant ce temps d’évolution, la Terre, patiemment nous observe.
Sa chimie à elle, naturelle, pleure sûrement doucement de l’arrogance de ses nombreux enfants, et de leur impossible salut artificiel, comme on souffre toujours d’un membre amputé. Qu’ils cherchent leur bonheur en quittant le nid, rien de plus naturel, mais qu’ils nient le nid, c’est grande souffrance à prévoir.
Penser que le salut est en dehors du cocon qui nous a vus naître, c’est la prétention de l’adolescent. Le chemin secret de chaque enfant. Le foyer est au bord de l’implosion du fait de ces jeunes incontrôlables.
La terre nous gronde, et en jeunes cons, nous haussons les épaules.
Elle nous inonde de pleurs, et en délurés nous rions sur ses rives.
Elle nous souffle dans les bronches, nous secoue, cherche à nous faire trembler,
Rien n’y fait, nous demeurons narquois. Est-ce parce qu’intimement, nous la savons aimante, inconditionnellement, ayant totalement omis la possibilité qu’elle nous pousse à quitter le domicile pour se sauver elle-même ?
Écoutons les arbres en hiver, il ne faut pas apprendre leur langue mais la retrouver en deçà de toutes langues. Apprenons à oublier.
Niyam Draw
niyamdraw@gmx.com
