Assis, il chemine.
De chalet en auberge, de gîte en abri, de tente en palais, c’est selon la nature de son pèlerinage immobile.
Parfois, les nuages sont bas et l’air irrespirable. Depuis la ville, ils montent et stagnent. Le pèlerin ne voit plus le sentier et ne peut quitter l’abri où il se trouve.
A d’autres moments, un vent favorable le conduit rapidement d’une demeure à l’autre.
De là où il se trouve, il observe le monde.
En observant le monde, il se laisse observer.
Sous chaque toit, il voit les nuages défiler différemment. Les montagnes alentour n’ont pas la même densité selon qu’il les scrute d’ici ou de plus haut.
Et son cœur aussi bat d’un rythme propre à chaque endroit.
Chacun de ces abris modifie son être et le rend perméable d’une manière singulière. Et multiple. Le soleil n’est pas le même. Il irradie d’un angle nouveau chaque observateur, selon l’endroit d’où il est contemplé.
Sept mondes au moins, et non pas un.
Sept mondes au moins, qui n’en font qu’un.
Sept mondes à portée de souffle. Comment raconter la majesté, la surprenante beauté des sentiers de montagne à celui qui hurle et tourne, prisonnier de la ville?
Assis, il contemple depuis les sept chalets.
L’un après l’autre, il les habite.
Il est celui qui serpente le long des chemins de terre et au travers des roches acérées et des bois épais.
Il est l’habitation qui accueille le temps. Et il est la montagne, où tout cela se passe.
De bas en haut, il se laisse gravir.
Il arrive au premier abri, une hutte en terre séchée. A peine a-t-il entrouvert la porte qu’ il se voit subitement enfant, marchant à quatre pattes. Aucune contrainte, simplement une nature qu’il convient de laisser s’exprimer.
Ses mains et ses pieds sont profondément enfouis dans la terre rouge, plantés dans le sol humide, ses ongles font racines.
Du bout des doigts, il tâte les perles d’eau que le métal transpire.
Il sent le monde brut, le monde originel. Jamais disparu. Depuis la nuit, l’argile chaude fait pulser le sang sous ses pieds.
Poussé par ces flots profonds, il reprend sa route.
Le chemin le mène alors jusqu’à une tente orange. Alors qu’il approche, scintille le sommet de l’habitat pyramidal. Le ciel entier semble reposer sur la pointe de la tente. Calmement, la toile irradie l’atmosphère du matin au travers de la montagne.
La force douce de cette lumière fait pousser les végétaux vers le haut, et, simplement, le bois monte. Par cette tente, les arbres de la montagne grandissent, la sève circule, et les animaux suivent le cours de leur existence.
Ici, l’univers s’équilibre. dans la sérénité, la vie s’élabore.
Sa marche le conduit plus loin. Sur le sentier qui évolue vers les hauteurs, les arbres renversés par les tempêtes passées se font plus rares et les branchages qui entravaient son chemin en aval lui sont plus favorables. Sans trop savoir pourquoi, il sourit doucement.
C’est à ce moment qu’il atteint le chalet de soleil.
Situé à fleur de roche, il embrasse le monde et reçoit parfaitement la lumière.
L’astre solaire chauffe ici un peu plus fort, et lentement, le bois brûle et s’éthérise.
Les feuilles vertes qui frétillent plus haut chatouillent déjà le toit du cœur des montagnes.
La sève s’enrichit, abreuve et distribue les rayons de vie aux êtres du sommet, aux peuples des vallées.
De ce chalet rayonnant, on aperçoit déjà le bleu du ciel au delà des branches les plus fines.
Dans cette bulle inattendue, à la surface de laquelle il se voit, jouent les reflets des mouvements du monde. Ils apparaissent à sa surface, se meuvent, se fondent les uns dans les autres et dansent de leurs formes langoureuses.
De cette bulle en naissent deux, puis quatre et huit et mille. C’est d’ ici que sort la rivière et que l’eau se partage librement.
La sève qui le transporte, les courants qu’il emprunte, le portent au point suivant. c’est une cabane de bambou. Assis au centre, la capillarité des derniers rameaux le surprend. Elle est d’une telle vigueur, et les échanges sous ses yeux sont d’une telle richesse, que le liquide se fait de plus en plus fluide et s’évapore au delà des canaux les plus ténus.
Tout y devient possible. Les émotions s’étirent au travers des murs de bambous, des cloisons de tissus.
La sève se fait encens…
Les vapeurs embrassent l’air et le ciel les diffuse au monde entier.
Ceci puisque, partout, le ciel est ciel.
Et que deviennent les fumées quand elles quittent le ciel? Dans un bleu transformé, elles infusent l’univers et se laissent infuser en ses eaux primitives.
Au sommet, le sommet n’en est plus un et la montagne a disparu.
Assis, il n’est pas seul. Autour de lui, d’autres personnes. Qu’elles le sachent ou non, elles cheminent dans le silence.
Chacune est un royaume, un monde sans limites, un caillou dérisoire.
A la pointe de toutes ces montagnes en présence, depuis le palais violet du zénith, ondule un cordon ombilical, un ruban coronal.
Sinusoïde douce, paisible et sans pourquoi, il alimente chacun des corps, depuis la source qui se perd au delà de l’espace.
Assis, croient-ils encore être des pèlerins isolés?
Franck
