Discipline, Sanctions et Réprimandes

A la lecture des éléments qui forment le titre de cet article, fait écho un sentiment de rejet. Ce n’est pas un plaisir de faire preuve de discipline, d’infliger des sanctions ou de réprimander ceux dont le comportement ne cadre pas avec nos attentes.

Après avoir constaté qu’il s’agit d’une réaction désagréable, c’est souvent la nécessité qui est invoquée pour justifier ces choix d’interaction avec autrui.

« Je suis bien obligé de crier dessus, il ne comprend pas sinon »…
« Il faut bien que quelqu’un lui fasse comprendre que ce n’est pas bien »…

Cette argumentation est en fait une justification personnelle. Elle participe à l’auto-conviction que le comportement qui vise à remettre en ordre une situation plus ou moins chaotique était la seule option digne pour un gentilhomme…

Ces paroles indiquent que je m’envisage comme l’agneau qui sacrifie son équilibre et son bien être serein du moment sur l’autel d’un intérêt plus grand: celui de l’ordre dans l’entité sociale qui m’entoure.
Il y a fourberie. Cette sérénité première n’a en fait jamais existé. Elle est invoquée pour les vertus de la justification de notre choix de sanctionner ou réprimander.

Il s’agit bien d’un  choix. Parmi toutes les possibilités offertes dans la gamme de gestes, mouvements, comportements, idées, langage, tons de voix, regards, nous choisissons celle qui établit ou rappelle un hiérarchie.

Ce n’est pas l’autre que nous abaissons tant que nous mêmes que nous rassurons.

La relation, à cet instant est marchande: je sacrifie pour toi, je fais le deuil de mon calme.
En retour, tu obéis et l’ordre est maintenu ou restauré.
Le levier est celui de la culpabilisation: je crée la nécessité de rétribution pour quelque chose que l’autre ne veut pas et dont il n’a pas besoin.
Par cet habile dispositif, je tiens l’autre dans mes filets: il se sent coupable de quelquechose qu’il n’a jamais vraiment commis.

(Parallèle publicitaire: la présupposition du besoin, matraquée, répétée par les médias et les consommateurs amis, finit par implanter en nous la culpabilité de ne pas avoir forcément ressenti le besoin initial d’acheter ce produit. Alors, nous procédons à un ajustement compensatoire: nous nous mettons à vouloir ce qu’il nous semble devoir être désiré).

A l’instant où nous faisons preuve d’une capacité d’éclat de voix, d’une aptitude à claquer la porte, d’un rappel à l’ordre, c’est notre place dans la structure sociale en question que nous sentons menacée par ce que nous apprécions comme un non-respect ou une non-conformité à l’ordre.

Cet ordre auquel nous rappelons notre environnement, n’est pas un micro-cosmos, un état naturel où nous siégerions en monarque et qu’autrui bafouerait sans vergogne ni scrupules.
Plutôt, il s’agit d’une projection personnelle de notre incertitude, de notre manque de solidité ressenti au sein de notre structure (famille, entreprise, société, queue à la caisse au supermarché, bouchons dans le trafic routier…)

Par notre acte de discipline, nos sanctions et nos réprimandes nous essayons de produire une mise en conformité de ce que nous interprétons comme un désordre.
Ainsi, d’une manière perverse, nous nous flattons. En alignant les éléments à ma portée, je tente d’avoir prise sur le réel, sur ce qui peut être appréhendé par ma voix.
Ainsi, je fais taire, le temps de ma démarche, le sentiment profond d’inutilité  qui m’habitait (et m’habitera, car la stratégie est inefficace).

Ce décalage entre le monde où nous baignons et le monde où nous souhaiterions régner est une source majeure de souffrance psychologique.
Cette dissonance peut être une tension momentanée qu’il conviendra de résoudre.
Quel serait l’accord parfait dans lequel nous pourrions enfin nous apaiser?

La croyance fondamentale sur laquelle repose la souffrance que nous récoltons est de croire que le monde alentour peut être imprimé par nos gesticulations. il s’agit là d’une myopie fainéante. L’ensemble de éléments qui se conjuguent pour former le tissu du réel est éminemment complexe et l’intérêt de ceux qu’il enveloppe ne peut être perçu objectivement depuis notre strapontin.

S’il s’avère de temps en temps que ce tissu sort du métier en produisant les motifs que nous souhaitions, c’est le résultat d’une concordance fortuite, d’une synchronicité dont la profondeur dépasse totalement notre champ d’action. S’attribuer ce tissu comme le fruit de notre ingénierie est arrogance, bêtise, ignorance, illusion…

La prise que nous avons sur le réel est de le dégager de notre influence. Nos petits bras s’agitent en moulins à vent ridicules et nous épuisent inévitablement.

En développant notre non-action, nous parvenons à entretenir un rapport de fluidité avec les personnes qui dansent sur le tissu du réel, nous élargissons notre regard et percevons que le motif que nous lisions comme notre propre production est en fait partie d’une texture beaucoup plus large et infiniment riche…

Savoir qu’elle est complexe, au delà de notre pouvoir de saisie est suffisant.
En cherchant à la saisir, nous nous retrouvons rapidement à jongler avec les travers qui faisaient notre frustration.

Qui suis-je pour « rappeler à l’ordre »? Je ne connais même pas l’ordre que j’invoque. Je ne suis même pas convaincu qu’il existe.
Plutôt que de rappeler à l’ordre tel ou tel événement jugé comme entrave ou méfait, peut-être pouvons nous tenter l’écoute élargie de ce qui se dit.
Reconnaître que notre place n’est pas amenuisée, que nous sommes beaucoup plus mouvants que le petit territoire tristounet que nous cherchons à défendre en rappelant une consigne.

C’est cela le choix de comportement qui est à notre portée. Et cette écoute large permettra de placer nos gestes, nos mots, nos regards et nos voix dans le sens des événements. Alors, nous pourrons danser et exister sans avoir à se poser la question de justifier une telle existence.

Le choix est le suivant: souhaitons-nous danser avec les éléments qui se présentent parmi le bal de la vie, ou préférons-nous déferler à travers tout en hurlant comme des ivrognes après le poteau qui a heurté notre crâne?

©FJ April 2022
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