Les Yeux dans le Volcan

 

Fermez les yeux.

Les énergies affluent et refluent en bulles de lampes à lave. Elles sourdent depuis la nuit des temps, se manifestent, cherchent à vous agripper, puis se fondent déjà dans l’énergie suivante. Elles s’enfantent l’une l’autre en un mécanisme inéluctable.

Il faut être bien arrogant pour enseigner leur domestication.

Ces proto-pensées, tels des blocs primitifs, souples et modulables, semblent servir de matériel de base au contenu psychique quotidien. Selon les personnes, elles apparaîtront normalisées, psychologisées, civilisées, ou dé-barbarisées.

Les yeux mi-clos, observez qu’il n’en est rien. Sous leurs habits de communiants et derrière leurs manières de gendres parfaits à la raie sur le côté, c’est toute la jungle équatoriale, compacte, dense et touffue qui transpire.
Si vous cessez d’écouter avec les convenances et les bonjours-à-la-dame, vous entendrez le vent glacé de steppes plaquer l’enfant à la paroi de roche.
Les raccords sans fin de vernis acceptable craquellent déjà sous les fleuves qui grondent.
Fermez les yeux et osez voir.

Il faut être bien ignorant pour prétendre les contenir

  …ou les gérer, en deux ou trois conseils technico-débiles. Si encore ils n’étaient qu’inutiles, inefficaces, passe encore. Cependant, dans le meilleur des cas, les gourous de salon, même s’ils proclament sincèrement et de bonne foi, n’ont d’autre effet que de noyer le moteur de l’opportunité qui se présente au pratiquant.

Une occasion, dont il est souligné qu’elle est rare, se présente à l’individu de soulever la trappe sur les flots ancestraux, et d’observer la pâte à modeler du monde.

S’il gâche cette occasion parce que cette pâte est déjà conditionnée, découpée, formatée aux couleurs artificielles par boîtes de 12 sur les rayons de Carrefour, quand se présentera-t-elle de nouveau?

Il semble que la plaque rouillée qui soulève le voile sur le psychisme profond, ait été remplacée par les livres édulcorés, les murs des réseaux sociaux, des salons, des formations, et univers insipides d’entre soi stérile.
Devant la trappe authentique, une porte en trompe-l’œil, esthétique, séduisante,  et dont on facture la vue puisqu’elle est signée de grands noms.

Mais une porte en trompe-l’œil est une illusion d’optique et n’ouvre sur rien.

En terrasse, prenez une chaise et regardez passer les gens. Le jour et la nuit, prenez un coussin et regardez passer les spirales de magma sans être emportés par les courants des pâtes primitives.
C’est un droit de regard exceptionnel dont il faut être conscient. Des millions d’années durant, je peux être assis en lisant le journal et ne jamais rien connaître aux gens, aux hommes, aux femmes qui passent devant moi, et qui sont aussi moi. Impossible de fixer les visages les uns après les autres, mais embrasser le flux, respirer la foule.

Ecoutez les pensées comme on admire les paysages depuis le train. On l’apprécie aussi largement que possible. Fixer les arbres qui défilent les uns après les autres, c’est se fatiguer les yeux et ne jamais rien connaître aux paysages; certains préfèrent manquer l’occasion et se plonger dans leur écran.

Paysages, passants, pensées, prenez un coussin et asseyez vous, ce n’est pas tant observer qu’il faut faire mais assister.

Il faut y assister 

Y assister jusqu’à ce que les paysages parlent de nature, que les passants racontent l’humanité et que les pensées s’ouvrent sur la forge d’où elles jaillissent, s’agglutinent, se liquéfient et retombent…

Y assister encore comme on assiste au spectacle, ému, surpris, effondré, mais conscient d’être devant des acteurs qui prétendent incarner, mais n’incarnent jamais.

Alors que vous assistez au ballet des bulles de pensée, à leurs frétillements, vous ne risquez pas votre vie.

Il ne peut rien vous arriver.
Vous existez avant, après, au travers et pendant. 
Vous existez.
Existez

Franck

(Version Audio Disponible ici)

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