La résultante de l’addiction aux vidéos, qui se développe avec l’usage qu’ont les jeunes des réseaux sociaux et des plateformes type YouTube, est le développement débridé de la niaiserie.
Le face à face entre professeurs et hordes post-adolescentes a disparu.
Désormais, entre l’élève et l’enseignant, les écrans tiennent le siège de l’attention.
Depuis la position d’effarement perpétuel qu’occupe le professeur, on constate que, de l’autre coté des pommes lumineuses, le demi rictus devient l’expression par défaut.
Dès que le niveau de rictus faiblit du fait des activités du quotidien ou des sollicitations laborieuses de celui qui a ainsi charge d’âmes, il faudra alors que le jeune se réinjecte une dose dès que possible et par tous les moyens techniques à sa disposition.
Le partage potentiel de cette expérience permet une homogénéisation de l’expression faciale.
L’air de rien (mais vraiment, l’air de rien …) il se sculpte sur les visages un bonheur niais, totalement induit de l’extérieur. dérobant la personne à elle même, la privant, par ce lissage, ce vernissage universel des portes d’entrée vers l’investigation intérieure.
L’étape initiale à toute amorce de ce processus étant le calme et le silence.
Dans le monde qui se dessine aux commissures, ces sont les deux grands absents.
Ici, la Ritaline est digitale.
Oserait-on les débrancher de cette mère immature, qu’il faudrait — ne serait-ce que de manière transitoire — subir les affres des syndromes de manque : irritabilité, incapacité à fonctionner au sein du groupe et face à l’adulte, perte momentanée de sens.
Potentiellement confronté à ce terreau de conflit, l’enseignant et le système duquel il émerge inconsciemment, s’empressent de remettre en bouche l’écran-téton, afin que les pleurs cessent.
Ainsi, il peut reprendre le cours de son cours et sombrer à nouveau dans la grande hypocrisie qui consiste à faire semblant d’enseigner à des jeunes qui font semblant d’étudier.
Sans le vouloir, il participe alors à la culture du néant. Par leur accord tacite, la paix sociale est garantie, le temps d’un cours, le temps d’un jour. D’année en année s’installe l’inertie, sous couvert d’ouverture d’esprit, dans une technophilie myope où les véritables outils sont ceux qui pensent les maîtriser.
Il est urgent de planter ses yeux dans ceux de l’étudiant.
D’exploser en pièces les écrans de protection : car, en réalité, c’est de cela qu’il s’agit.
derrière ce recours ultra passif et normalisé à ces outils d’apprentissage, se cache la grande fragilité de celui qui se terre, qui s’enterre sous des kilos de data, qui rebondit de lien en lien, qui se leurre et se leurre encore.
La jeunesse est ainsi en micro anesthésie permanente…
Trop fragile, trop sensible pour le réel…
C’est ici que l’adulte est en obligation d’échec…volontaire.
Dans l’infaillibilité lisse des écrans plats,
des fibres optiques, des clouds vaporeux,
lui monter notre humanité, nos failles, notre réalité…
lui montrer que l’on grandit et que l’on vit avec ces failles,
qu’elles ne sont pas un compromis, un pis-aller,
mais la matière même que l’on utilise pour grandir.
En réalité : cela signifie qu’il ne faut pas tomber dans une analyse froide de développement personnel, d’optimisation des conditions, ni même de résolution des problématiques personnelles.
Il ne s’agit pas d’une ingénierie de nous-mêmes, il n’y a rien à encoder dans nos schémas comportementaux pour fluidifier ceci, améliorer cela.
La première nécessité est de sortir de cette lecture problème-solution qui est l’essence du système anesthésiant que nous décrivions plus haut…
….Pour entrer dans le royaume de la sincérité, de la simplicité.
C’est ici notre nature,
patiente, calme et profonde
tapie dans l’attente d’être redécouverte.
La course folle des doigts sur les claviers, des électrons sur les bandeaux de cuivre est absolument inopérante à nous y conduire.
Cette reconnaissance est l’étape primordiale vers un souffle nouveau.
Pour cela, il faut fermer les écrans, déconnecter.
L’adulte doit refléter l’autre coté de l’écran. Celui du monde direct.
Il doit prendre racine en lui même s’il veut prétendre nourrir de ses fruits.
Ici l’adulte n’est pas toujours l’adulte,
Parfois, l’adulte est le jeune et le jeune l’adulte.
Dans la fragilité de leurs regards étouffés
Il peut voir frémir sa source oubliée.
Et de là, irriguer.
Franck Joseph
©FJ Nov 2018
Les articles et méditations sont disponibles en version papier ici : RECUEILS
Une vérité véritable, vérifiable et criante à faire frémir. Il semble que peu accepte d’ouvrir les yeux. Merci pour cet article.
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