Cet article fait suite aux deux parties précédentes :
–Les Quatre Faces de Brahma (1/3)
–Les Quatre Faces de Brahma (2/3)
Il n’y a plus d’hostilité (vision ‘ennemie’) dans la nature, elle ne nécessite donc plus que je la soumette ou que je la conquière. Le rapport à cette nature est apaisé.
La planète, et l’ensemble de ces habitants ne sont plus mes ennemis. Ces quatre vertus ne sauraient s’appliquer qu’à une partie de l’univers vivant.
Nous quittons ici la voie partielle et politique (l’esprit club de foot) pour la voie totale et spirituelle. Comme nous le remarquions dans l’article précédent, il n’y a de voie que totale.
Metta est une pratique totale. Sinon, il s’agit d’une vague recommandation de développement personnel, quelque chose de l’ordre de la stratégie permettant un accroissement suffisant de notre confort:
L’autre, la nature, l’univers…le réceptacle de cette onde de metta n’est qu’un moyen en vue d’une fin d’extension de mes territoires de bien-être. Tout au plus, une telle approche partielle relève de la négociation de bonne entente entre les pays (êtres vivants).
Le pratiquant augmente son confort dans le monde, ce qui est très bien sur le moment, peut-être, mais n’est pas l’expression de la non-dualité.
Sur la voie non-duelle, il ne peut y avoir de laissés pour compte de la compassion. Il en découle une application évidente du végétarisme (cf La Viande et le Territoire) ainsi que respect et gratitude de toute la nature.
Ici encore, les mots brouillent le message. Les termes de respect et gratitude impliquent un sujet et un objet. L’expérience non-duelle transcende ce mode relationnel et opère dans l’immédiateté et le silence.
Tout le contraire des mots, qui ne sont que médias bruyants.
A ce propos, qu’est ce qui n’est pas la nature ? Parlons une seconde d’environnement. Cette notion utile au quotidien, laisse pourtant présager qu’il y aurait moi et mon environnement. Ce qui m’environne, en l’occurrence, la nature, l’espace…m’inclut.
Quel est ce petit pois qui demande aux forêts de lui dresser des sentiers pour qu’il puisse rouler plus librement ?
Pendant que nous nous évertuons à construire autour de la nature, pensant ainsi restreindre son domaine d’existence, c’est en fait à une illusion de plus que nous souscrivons.
Quoi que nous fassions, la nature nous inclut. Qu’il s’agisse du modèle bétonné de nos villes de fin de millénaire précédant, ou de notre tentative de végétalisation de nos espaces lors du début de ce millénaire, c’est toujours la même dérive de perception: nous ne pouvons exclure la nature de nos existences, ni prétendre l’inclure.
Au milieu de l’étreinte large de la nature, de l’univers, nous gesticulons.
Ainsi, il n’y a pas de relation à avoir avec la nature. Dès que nous parlons, marchons, elle s’exprime. Nous n’avons pas d’existence en dehors de la nature.
Ne pas la respecter est pure folie. Non pas au sens de comportement déraisonnable, mais comme dérive psychopathologique sérieuse — et néanmoins banale.
C’est ici que s’embranche la dernière des trois étapes. L’ultime érosion consiste à voir qu’il n’y a pas de muret non plus entre tout l’univers et nous même.
3. Moi / pas moi
La troisième évanescence qui entre en piste est celle par laquelle s’érode la frontière entre le monde et nous-mêmes.
Si l’émetteur de ces quatre demeures sans mesure s’inclut dans tous, il disparaît.
C’est le grand mystère de la non-dualité.
En réalité, il n’y a aucun mystère.
Cette dimension intrigante émerge lorsque je cherche à la saisir par voie de mots.
Sauf que les mots ici n’ont plus place. Celui qui nomme, le mot et la chose nommée sont un. Les frontières usuelles s’effritent et tombent.
Le nomothète, le signifié et le signifiant, sont un, donc ils n’existent pas.
Une fois encore, revenons — encore une fois — aux paroles de Jésus. « Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez. »
C’est à Jésus, que vous le ferez, mais c’est aussi à vous.
Le plus petit est le pauvre, le riche, l’autre humain. C’est aussi l’animal, l’arbre et le caillou.
Il faut déployer des trésors de cloisonnement et de mauvaise foi pour ne pas voir dans ces propos un enseignement sur l’interdépendance.
Retournons la phrase: la paix que vous apportez en vous-même, c’est au monde entier que vous la donnez.
Voilà bien un message que l’on ne peut mettre en boîte.
Metta, karuna, mudita, upekkha ne sont pas tant des vertus à cultiver que des composantes imbriquées et en miroir, de notre vraie nature.
Nous habitons la demeure de Brahma. Par ces pratiques, qu’elles s’effectuent selon une gradation balisée ou dans la fulgurance de l’instant, nous en prenons conscience.
Le pardon
Au cœur d’upekkha, se trouve la notion de pardon.
Envers les autres et envers soi-même, sans distinction.
Rien n’est épargné, tout l’univers reçoit la force de metta. Littéralement alors, il ne peut plus y avoir d’espace intérieur pour se soustraire à la puissance de ces incommensurables élans.
Aucun irréductible village de gaulois, aucun enclos d’accusation, de rejet, de ressentiment.
Upekkha est le vent. Les trois autres vertus sont le navire.
C’est upekkha qui leur confère l’ampleur d’action. Il n’est pas un point de l’océan où le vent ne puisse souffler. Il n’est aucun endroit de l’univers où, par la force d’upekkha, les trois aspects faces de Brahma que sont metta, karuna et mudita ne puissent s’appliquer. C’est la force du pardon.
La nature d’upekkha ne saurait être restreinte et aucun bastion de ressentiment, de haine ou de colère n’est apte à lui résister. La nature intrinsèque de cette couleur divine est le pardon.
Le pardon est donné par défaut. C’est dans la nature de Brahma de pardonner.
C’est notre nature aussi. C’est notre nature, donc.
Ressentiment, haine et colère sont contre nature. Voilà pourquoi, en termes chrétiens nous sommes déjà sauvés, déjà pardonnés.
Reste à le voir, à le recevoir.
Les quatre vertus, demeures de Brahma, se situent en fait en amont du bouddhisme et en amont de toutes les religions, c’est peut-être cela le sens de la phrase profondément iconoclaste du Dalaï Lama, lorsqu’il déclare que sa « religion est la gentillesse » (metta).
La seule pratique spirituelle, en fait, est metta.
En metta, karuna, mudita, upekkha.
Chacune de ces pratique suffit à éclairer les trois autres.
De même,
Chaque paramita…
Chaque Noble Vérité…
Chaque humain…
Chaque mouche...
Chaque colline…
Chaque caillou…
Voilà l’art du désencombrement !
Puisqu’il faut bien finir quelque part, autant finir par où tout commença.
Dans ce cas, ce sera le zen.
Franck

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