Voilà plus de trois jours qu’il ne s’était pas rendu à la rivière pour y plonger son seau.
Ce matin-là, lorsque les derniers arbres de la forêt ouvrirent sur la clairière, R. sourit au clapotis lointain qui lui enchantait les oreilles.
Les voix du groupe d’hommes qu’il aperçut se substituèrent à cette sensation agréable : ils semblaient se quereller. Leurs bras secouaient le vent frais du matin.
Toujours heureux de participer à l’apaisement il s’approcha et vit que ce qui lui apparut comme une dispute était en fait une leçon de vie, donnée par un des prêtres du culte alors en vigueur.
Il entreprit de se mêler aux personnes qui se faisaient ainsi haranguer, mais, pris dans son propre emportement, l’homme au vêtement cousu d’or finit sa phrase dans un éclat de voix et s’en alla…Laissant derrière lui un petit groupe abasourdi.
Au milieu d’eux, la femme aux cheveux noirs, venue laver son linge.
Il la croisait régulièrement et ensemble ils parlaient de Dieu, de l’assise, du calme et du temps qui passe.
Les autres membres du groupe lui lancèrent, en singeant le prêtre, quelques phrases acerbes, de celles que R. avait décidé de ne plus retenir.
Dans un même élan, ils s’en allèrent tous.
Derrière les yeux de larmes naissantes, elle vit l’ami de la rivière approcher et lui dit :
-« Ce sont mes habitudes, de prier seule dans la forêt, de rester chez moi le jour du culte et de cuisiner lentement les jours de repas collectifs, de rester à me taire au bord de la rivière..m’appelle…enfin…
Ils disent que je me prends pour ‘mieux que Dieu’, que lorsque je parle avec toi, c’est leurs ancêtres que j’insulte. Lorsque je viens ici, en marchant doucement, ils me retrouvent, me sermonnent…
Mais je n’irai plus avec eux, je ne le peux plus. Leur bruit me tue, tu sais… Je ne leur fais rien, pourtant je…
-« Tu leur fais peur », dit l’ermite en plantant ces mots au beau milieu des siens.
Après quelques secondes, il poursuivit :
-« Le souci, vois-tu, c’est que l’intériorité n’a rien à vendre.
Il nous faut donc laisser les marchands du temple et leurs accoutrements sur le bord de la route…
Voilà précisément ce qui fait peur à tant de chercheurs en vérité : la Grande Liberté.
La fille doit-elle s’annoncer, frapper à la porte du bas, attendre qu’on lui fasse porter la clé, puis que l’on vérifie son identité, son grade et sa tenue, avant d’aller étreindre sa mère?
Il n’y a que ceux qui doutent, ceux qui lisent les manuels, pour penser protéger ainsi la reine qui n’a nul besoin d’eux, car elle n’a rien à défendre.
Celle qu’ils imaginent ainsi défendre, ils l’imaginent.
Ce n’est en fait rien d’autre que le tathagata garbha, notre nature profonde d’être éveillé…
Ce ne peut pas être le résultat d’un calcul issu du manque.
Cela n’a rien à voir avec les diplômes obtenus et le nombre d’heures passées à étudier.Simplement, il nous faut être en paix pour amplifier la paix.Certains simulent la paix.
La paix réelle ne peut être simulée.
..Toujours revenir à la pratique.
simple, silencieuse et discrète.
pour jouer notre musique
dans le bruit du monde…
Comme l’enseignant qui, à force de parler doucement,
finit par faire taire le brouhaha de la classe. »
Franck Joseph
Dernier recueil désormais sur Amazon (e-book et papier): Les Berges D’Éveil