Dans la volonté d’écriture il y a toujours attachement à une saisie.
La saisie est l’étape première et primordiale à l’élaboration du matériel écrit, et cela même s’il s’agit d’une note furtive griffonnée à la hâte. Chaque acte d’écriture est photographie du processus de saisie.
La preuve indéniable que la saisie a eu lieu.
En réalité, le pratiquant se rend coupable de saisie bien avant de se saisir du stylo.
En ralentissant le déroulement, on s’aperçoit que toute formation mentale, même s’il ne s’agit que d’un embryon de demi-proposition, est déjà accomplissement du processus de saisie.
A cet instant, le fleuve de vie est quitté, et nous avons déjà rejoint la berge pour y tresser des lianes de mots qui parlent de l’eau. Nous avons déjà commencé à sécher.
A nous assécher.
Pourquoi écrire alors ?
A n’en pas douter, derrière la fébrilité du stylo, dans le papier que la pointe n’est pas encore venue taquiner, se cache la potentialité du miroir.
C‘est le miroir du papier que le crayon vient polir.
Sous les épaisseurs de poussières entassées en surface du papier jauni se cache l’éclair de la réalisation
C’est aussi l’ardoise que la craie s’épuise à polir en vain pour tenter de faire naître le miroir.
Le miroir est dans le papier…
et le papier n’est rien d’autre que du papier. Il laisse émerger la vérité qui déjà a émergé avant que le stylo ne soit saisi.
L’écriture est un ralentisseur de sublime qui crée l’illusion de synchronie.
En cela, elle permet la palpation du fulgurant.
Elle laisse le médiocre contempler le sublime comme le cancre se voit expliquer la règle de grammaire par le premier de classe.
L’écriture est aussi l’agent de coloration par lequel le sublime se diffuse. Échancré, amputé, il prend néanmoins forme.
Il enduit le quotidien de la sève profonde dont la nature est d’irriguer.
Révélateur d’essentiel, l’écriture est aussi subterfuge de surface.
Ne pas écrire ? Écrire quand même ?
Écrire un peu, et puis se taire
Ne pas amasser les lianes de mots.
Tresser, remettre au fleuve. Aller nager
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Écrire, c’est se fourvoyer deux fois.
Lire-Écrire-Méditer)
Franck Joseph
Lien vers les Recueils en version papier : RECUEILS