Celui qui reçoit insultes, humiliations, dénigrements, qui est-il?
Avec la réalisation que celui-ci n’a jamais existé, disparaît la souffrance.
Quelle joie d’avoir tout ce matériel à notre disposition.
Quel puiseur serions-nous sans toute cette terre sous nos pieds?
Aucune source à recueillir.
Et quel alpiniste, sans montagne à gravir?
Aucun ciel à caresser.
Tant d’invitations à habiter plus profondément. Ces acidités chroniques que nous recevons de nos proches, amis, ennemis, collègues et inconnus…
Les contretemps massifs qui se placardent en façade de nos projets. Cloués comme des planches en croix devant une usine désaffectée, ils rient à gorges déployées de nos acharnements.
L’amertume du temps qui s’obstine à passer et n’a que faire que nous émettions une seule remarque (ou une batterie de contestations). Pourquoi ne s’emploie-t-il pas à passer au dessus de nous, à passer pour les autres ?
Inutile de se faire discret en espérant qu’il nous oublie.
Le temps n’oublie rien ni personne.
La frustration entre nos mains. Tout ce qui devrait tellement fonctionner, mais ne fonctionne pas.
Les années, folles ou sages, qui nous sautent au visage, tel un chaton joueur avec lequel on s’amuse un peu chaque jour. Puis, piqué par on ne sait quelle mouche, il s’emballe sans prévenir et finit irrémédiablement par nous entailler la peau de rides profondes et douloureuses.
Ces douleurs sont la surface à creuser.
Tant d’incitations à aller plus loin que ce que le monde nous force à voir.
On ne peut y donner suite que si l’on est parvenu au bout de la lutte.
Et que l’on a perdu.
Il faut avoir perdu cette bataille pour vivre sans la guerre.
Dès que j’accepte avoir perdu, je commence à gagner
Une liberté, et une joie.
Une sérénité libre, non harnachée aux chevaux fous
Des promesses de l’après.
C’est en cela que le succès mondain est un sérieux amas d’embûches sur la voie de l’approfondissement. Il est porteur de l’illusion du combat qui se gagne.
Le succès fait manquer le train pour le sommet.
Il faudra attendre le suivant. Ou gravir à la main.
À certains êtres, il est donné de voir le bout du chemin sans avoir à en parcourir la totalité. À ceux-là, quelques pas suffisent.
Ils savent, à l’odeur que le plat est avarié.
D’autres continuent de marcher, et malgré la boue, le vent froid et la pluie qui glace les os, ils pensent qu’après le rocher, le temps sera clément pour de bon.
Il leur faut avoir été souffrant pour comprendre que le mets était vicié.
Nos vies sont jonchées de ces humiliations.
Le plus souvent, elles susurrent à nos oreilles.
Acouphènes discrets, on les oublierait presque.
Lorsqu’on s’engloutit dans la nuit, elles sont là
Qui sifflent la fin de la partie. Quelle partie?
Ou, hurlantes, elles explosent au visage
Et transpercent le cœur…
Pudique et innocent,
Il essaie de ne pas souffrir.
Parfois, dans la gorge des gens,
Se cachent des flèches enflammées.
Mais de l’autre coté, où se plantent les flèches?
Sans attention, elles pénètrent la poitrine
Et des trous qu’elles percent
Coule une chute rougeâtre,
Le quotidien s’y noie.
Si les flèches sorties des gosiers en tristesse
Ne trouvent pas matière à déchiqueter…
Et si les mots horribles
Ne s’adressent à personne
Ils ne peuvent blesser.
Dans le désert, celui qui crie sa haine contre le monde
Ne fait pleurer personne.
C’est l’enseignement du vide. Aucune surface pour accroche la haine.
Alors seulement, nous pourrons faire la différence entre ce qui est dit, et ce qui se dit.
L’humiliation est une personne que l’on humilie. Elle n’existe pas sans son objet.
Les frustrations heurtent celui qui a des plans. Elles ne peuvent dévier celui qui n’a nulle part où aller.
Et pourquoi donc entretenir cet objet?
Ne persiste à souffrir que celui qui n’a pu apercevoir les terres de non-souffrance. (1)
C’est une des portes que l’on peut ouvrir.
Par la porte de la non-densité s’échappe une ribambelle d’illusions. Sans support, sans réceptacle, sans surface, elles filent, comme des enfants s’enfuient en riant après avoir fait leurs tours.
Il nous reste à sourire de leurs facéties et de notre crédulité.
S’il n’y a personne pour recevoir la flèche enflammée, elle ne peut plus blesser.
Et s’il n’y a personne pour la décocher, la flèche existe-t-elle?
Franck
(1)Tout est Souffrance. Joie du Bouddhisme.
