La Viande et le Territoire

La question n’est pas : « faut-il que je devienne végétarien? »
(« A moins qu’il vaille mieux que je ne sois vegan ? »)

C’est une question qui ne mène à rien et génère de l’agitation de surface, des poses, des attitudes, du vernis pour personnalités.
Abstenons-nous de questionner sous ces termes polémiques: « Qu’en est-il de celui qui s’empiffre des tranches du corps décédé de l’autre? »
Inutile de braquer, d’engendrer des postures opposées afin de compenser les excès de celle du prétendu vertueux.

Il pourrait être beaucoup pertinent de centrer le débat autour de la consommation de viande de manière différente.
Ne pas poser la question du bien fondé de la non-consommation de viande ou de l’absence de vertu d’une alimentation carnée, mais de placer le curseur interrogatif en amont:

Pourquoi celui qui mange de la viande mange-t-il de la viande?
Qu’est-ce qui, en lui se fait suffisamment entendre pour le pousser à mettre du jambon dans le fond du caddie?
Qu’est-ce qui cesse lorsque l’individu envisage un régime dépourvu de muscles morts?

Il ne m’a jamais semblé que la saisie de ce problème par un prisme argumentatif ne soit pertinente ou efficace. C’est lorsque le terrain intérieur est préparé que le cadre conceptuel s’élabore de lui même. Il y a peu de chances que l’ensemencement ne soit propice à une prise de conscience s’il s’effectue de l’extérieur.

Qu’en est-il alors de ce mécanisme ? Il est peu aisé de le saisir puis de le décrire par le biais des outils linguistiques. Il semble que les dynamiques impliquées aient trait à des ressort pré-langagiers et que tout mise en mots semble arriver trop tard dans la chaîne des manifestations pour prétendre à une exactitude recevable. C’est pourquoi je choisis de m’exprimer ici sous un mode instinctif. L’usage abusif par le new age du terme ‘vibratoire’ m’empêche de l’utiliser à dessein. C’est pourtant celui qui me vient.
Une fois n’est pas coutume.

Je pressens qu’avec le rapport à la viande, s’accole un élan primitif: 
Une impulsion viscérale de faire en sorte que l’autre devienne moi, qu’il se fasse mien.
Comme la profonde pénétration dans nos structures psychiques de cette croyance ancestrale selon laquelle, en dévorant les muscles des autres, ils accroîtront la puissance des miens.
Quelque chose qui relève quasiment d’un occultisme proto spirituel, d’un chamanisme atavique.

(Bannissons de suite toute mauvaise foi. Il est vrai qu’elle est souvent de mise dans ces interminables débats sur le régime à adopter: D’un point de vue physiologique, il est incontestable que les protéines du corps de l’animal que j’ingère serviront à nourrir mes structures cellulaires. Ainsi, d’une manière très prosaïque, la force de l’autre devient ma propre force, et en cela le muscle de l’autre vient en quelque sorte « s’ajouter  » au mien.

Remontons encore d’une étape: laissons la question, cessons de la poser, mais posons la plutôt, délicatement, sur une table.
Faisons-en le tour et voyons de l’autre coté ce qui s’y trame.
Sous ce nouvel angle, apparaît un élément fondateur lorsqu’on en vient à vouloir comprendre ce qui met un steak sous les dents de l’innocent affamé.

Accroître sa puissance. Voilà l’expression d’une volonté de plus, du désir d’augmenter son champ d’influence. C’est cela qui nous pousse vers la viande.
Ce désir est protéiforme mais il irradie depuis un centre unique.
Cette sphère d’influence étant unique elle prend pourtant des aspects multiples:

-musculaires, physiques,
-Familiaux, dynastiques
-Territoriaux, politiques
-Psychologiques,
-Financiers, patrimoniaux
-…

La problématique fondatrice est la suivante: la croyance en un moi.
Par défaut, à peine est-il expérimenté comme le centre de notre identité qu’il devient fébrile et nécessite un entretien permanent. Il s’agira de le défendre et de l’étendre.
C’est en ces termes que s’exprime le moi : croître ou disparaître.
La tension vers la croissance du moi, vers l’extension de ses sphères d’influence est le seul recours qu’il perçoit comme disponible à l’angoisse d’une disparition.
Juste au dessous de cette angoisse réside pourtant une profonde sagesse. Le moi se sait voué à disparaître. Peut-il user de cette connaissance intime comme d’un appui à l’évolution, comme une marche, un passage vers une autre modalité d’existence ?

(voir la Note rapide sur le « moi »)

Cette croyance nous pousse à croître, pour ne pas disparaître.
Le volume sonore de cette composante en nous, la vigueur de ses manifestations nous conduit, dans les formes les plus évidentes de sa manifestation à consommer de la viande.
Alimentation carno-centré, stratégies marketing diverses, autoritarisme éducatif, familial, professionnel, investissement financiers, capitalisme, consumérisme…autant de visages consubstantiels.
L’envie de plus, pour moi.

(Il doit être possible d’envisager  des revêtements polis, créatifs, pour venir couvrir ces caractères, mais le manque d’inspiration à l’heure de l’écriture de ces lignes ainsi que l’urgence à recentrer mon propos ont raison de cette tentative.
Je laisse au lecteur le soin de customiser ces miroirs tendus et serais bien fortuné de pouvoir intégrer ses contributions dans les commentaires ci dessous.)

Par souci d’honnêteté, il faut aussi reconnaître que la consommation des êtres issus du règne végétal, même si elle n’engendre pas de souffrance comparable, peut aussi être décrite sous les mots de la consommation de viande, à savoir:
Il s’agit de manger une partie de l’autre pour qu’elle devienne moi.
La différence n’est pas une modification de nature, mais de degré.
Il y a quelque chose de l’ordre de la prétention qui est moindre dans la consommation de végétal. Ce type d’alimentation est favorisé et favorise un élan moindre, voire pas d’élan du tout. Nous ne sommes pas dans la conquête, mais dans le maintien, dans l’équilibre de la vie, dans la vie qui circule tout simplement, sans outrance, sans démesure, sans souffrance comparables.

La viande que nous mangeons est un effet résultant de la maladie du moi. Elle en est un symptôme.
Changer de régime alimentaire, parce que c’est la mode, ou parce que cela correspond à l’image qui nous semble être la plus flatteuse de nous-mêmes relativement à la conjoncture sociétale, n’est d’aucun intérêt. Cela contribue simplement à troubler davantage la lecture du monde.
Tant que la maladie du moi subsiste, et s’impose à nous, les manifestations mentionnées plus haut demeureront.
Il est inutile d’invoquer la raison sous quelque perspective que ce soit (sanitaire, environnementale, économique, éthique…)

Il est fort à parier que l’homme augmenté que l’on nous propose (nous impose) comme modèle de développement historique souhaitable, sera un invétéré viandard.

Je constate, à mon humble et néanmoins prolixe échelle, que l’arrêt de consommation de viande, ainsi que le ralentissement de cette consommation) s’accompagne d’un apaisement des manifestations de cette quête d’accroissement de territoire.
Corrélation n’a pas valeur de cause: l’assagissement de ces velléités constitue un effet parallèle à la modification du régime alimentaire..
Je vous invite à observer ces liens dans votre vie, à sentir en vous que les composants de l’un sont les composants de l’autre. Surfez sur l’un, surfez sur l’autre de ces deux sentiments et voyez qu’il s’agit d’une seule et même vague.

Il existe un parallèle entre ces deux routes. Ce sont deux rayons d’obscurité issus d’un même soleil noir.

Avec l’évolution de la sensibilité, de la capacité à la lecture intérieure, disparaît l’attrait pour la viande.
Et avec lui, l’attrait pour les schémas comportementaux de ceux qui s’adonnent à cette consommation.

Dans les mots des bouches carnassières, 
J’entends les bruits de celui qui frappe contre les barreaux
Et cherche à agrandir sa cellule.
Par les gestes qu’ils répandent
Au travers de nos ondes,
J’apprends la patience 
Et le goût de la solitude.

Un jour, quelque part, j’avais lu sans comprendre que tant que l’on tuera des animaux pour les manger, il y aura des guerres.
Ce soir, je suis toujours incapable de l’expliquer vraiment, mais les quelques mots qui naissent de l’intérieur en éclairent le sens profond.

Franck

7 commentaires

  1. Bonjour Franck,

    J’ajoute ceci : ce n’est pas tant ce que l’on mange qui est important, c’est le rapport que l’on a avec la vie. Considérer que cela est un dû, ou mieux que cela est convertible en argent (pour ceux qui font de gros sous dans l’agro-alimentaire) c’est cela la déviance. Revenir à notre Sacré c’est être en harmonie. « Je ne prends rien : cela se donne et je remercie avec tout mon cœur et toute ma présence. » Il est vrai que la consommation de la viande révèle souvent une appétence signifiante du désir de pouvoir. Pouvoir qui se veut s’exercer sur tout. Vouloir trop de force c’est vouloir asservir une part de vie en trop. Merci pour cette réflexion. Pourtant, j’aimerais ajouter ceci : nous prenons souvent même à notre insu. Que faire alors ? Être dans le juste. Être dans la mesure. Être en accord. Pour chaque chose, pour chaque acte. Bonne continuation !

    J’aime

    1. Bonjour,
      Merci pour votre retour.
      C’est vrai que ce texte est une libre introspection.
      Il n’a pas prétention à afficher une position polémique…d’aucune sorte. J’ai entretenu une relation assez mouvante avec la consommation de viande…je ne fais qu’état des mouvements que je constate, chez lez autres, comme chez moi.
      De plus, pour abonder dans votre sens, je suis souvent circonspect en voyant les positions d’autorité, et les extrémismes de certains discours attenant à ces sujets.

      A bientôt,
      F

      Aimé par 1 personne

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